dimanche 28 février 2010

Elliott Erwitt, Philippe Bordas et Luc Choquer à la Maison européenne de la photographie

Entre l’agitation de Saint-Paul et le courant de la Seine, la Maison Européenne de la Photographie porte parfaitement, en havre de paix qu’elle est, son doux nom de « maison »… Actuellement, le terme est mal-venu, l’hôtel particulier est pris d’assaut pour trois de ses expos : les photos personnelles d’Elliott Erwitt, l’Afrique vue par Philippe Bordas et les Français de Luc Choquer. Trois paires de rétines pour trois univers.


Les rapprochements impromptus d’Elliott Erwitt


« Faire rire les gens est une des plus parfaites réussites que l’on puisse espérer », estime Elliott Erwitt. A la MEP où sont exposés ses clichés préférés -des photos qu’il a prises non comme reporter mais en amateur, au détour d’une rue européenne, dans un café américain, et tout au long de ses pérégrinations d’artiste malicieux- le visiteur conclut que le photographe a réussi. Les rapprochements dans un même cadre d’éléments sans rapports les uns les autres créent le décalage qui fera rire le visiteur : ainsi de cette flèche de circulation routière pointée tout droit vers le Mont Fuji, de ce flamand rose qui se balade derrière un robinet de plage et dont la silhouette, semblable à ce robinet, laisse à croire qu’il se prend pour l’objet, ou, au musée du Prado, cette Maja vestida scrutée par une femme tandis qu’à ses côtés, sa semblable desnuda est finement observée par une bande de visiteurs masculins. Cette photo pourrait être la mise en abyme du travail "erwittien" : le monde est un musée comique devant lequel le shakespearien rit des hommes, des chiens, des nudistes et au final de nous-mêmes, de nous lorsque nous nous oublions dans (et du fait de) notre sérieux.
Il est des Elliott Erwitt comme des photographes humanistes (l’homme a intégré l’agence Magnum en 1953) pour rétablir cette distance entre notre conscience et notre situation, pour remettre, si proche soit l’objectif du sujet, les choses dans leur contexte et nous faire rire des mauvais comédiens que nous sommes nous-mêmes.


Les couleurs de l'Afrique héroïque, par Philippe Bordas


Descente d’un étage à la MEP et de plusieurs latitudes sur la planète pour se retrouver en plein continent africain, chez les chasseurs maliens. Dès 2001, et pendant sept ans, le photographe français Philippe Bordas a suivi cette armée qui a gardé ses grigris et ses amulettes du XIIIe siècle, époque où elle défendait le Roi Soundjato Keita, dont le royaume s’étendait du Sahara à la forêt équatoriale, de l’Atlantique à la boucle du Niger. L’on voit bien sous les panchos et les amulettes, un jean, un sweet ou, au bout des doigts, une cigarette, mais les chasseurs ont gardé une prestance et un fierté toutes surannées qui les laissent graves devant l’objectif. Cependant, les images qui fixent ces attitudes ancestrales sont par leurs couleurs et justement par la concentration des acteurs, grouillantes de vie et de fraîcheur… Les rouges, les orangés, les marrons et les verts de Philippe Bordas sont aussi vifs que le feux ou les muscles qui les portent et rehaussés par le noir dans lequel sont plongés les salles de la MEP.
La Maison expose aussi, les premiers contacts du photographe avec l’Afrique, ses clichés de boxeurs kényans et de lutteurs sénégalais, et ceux résultant de sa rencontre en 1993 avec Frédéric Bruly Bouabré, poète fils d’une Afrique colonisée qui a inventé une écriture pour un continent toujours sous le joug des alphabets étrangers.

Le calme avant l’orage : les « Français » de Luc Choquer

Luc Choquer colore la cave avec ses photos orageuses. Depuis huit ans que l’artiste frappe aux portes des Français, et qu’il leur laisse le choix de la mise en scène, Luc Choquer s'est forgée une belle collection de portraits où l’on discerne, sous le sérieux et la froideur des poses, sous des cieux chargés d’une électricité orageuse, la diversité, l’originalité et l’humour de ceux que l’on appelle commodément « les Français ». Où, après le sérieux des chasseurs maliens, l’on revient à l’autodérision "erwittienne".

Maison Européenne de la Photographie, jusqu’au 4 avril 2010, 5/7 rue de Fourcy Paris 4e, du mercredi au dimanche de 11h à 20H. Plein tarif : 6,50 € ; TR : 3, 50 €, gratuit le mercredi dès 17h.


La Face Nord Compagnie à la Fièvre

En général, quand les humoristes se mettent à la tragédie, ils révèlent un côté sombre, profond et réaliste, à l’étonnement de ceux qui pensent que les « comédiens de comédie » sont de mauvais acteurs. Le « Ciao Pantin » de Wallace Shawn s’appelle La fièvre. Acteur américain connu pour ses rôles comiques à la télévision ou au cinéma, aperçu notamment dans Desperate Housewives, Gossip Girl ou The L Word, Shawn se révèle un auteur de théâtre plus sombre et controversé.

Pièce d’abord créée dans les salons new-yorkais en 1991, La fièvre fut ensuite jouée à Manhattan et récompensée d’un Obie Award (prix du théâtre off de Brodway) en 1990 et 1991 en tant que meilleure pièce américaine. Enfin, elle a été adaptée au cinéma par Carlo Gabriel Nero en 2004. Ce brillant historique annonçait une adaptation française intense et bouleversante. Malheureusement, la Face Nord Compagnie n’a pas su porter ce texte à sa juste valeur.

Quelques années après Les petits enfants du siècle, morceau de bravoure dans une carrière abondante et éclectique, Jérôme Sauvion s’attaque à son second monologue avec La fièvre, un texte inédit en France et traduit pour l’occasion. Seul en scène, ce qui implique d’être rythmé, concentré, possédé et de maîtriser parfaitement son texte (pas seulement dans l’apprentissage mais également dans la compréhension). Jérôme Sauvion mène ici un exercice de maître, que peu de comédiens sont capables d’assumer, mais il lui manque du recul sur son texte et empêche le public de respirer avec lui.

Un homme se réveille dans une chambre d'hôtel d'un pays pauvre. Nous ne savons pas qui il est ni où il se trouve. Un condamné à mort doit être exécuté à cet instant précis quelque part dans ce pays, ou peut-être ailleurs… Jusqu'alors épargné par une vie facile, le voilà brutalement basculé dans l'horreur. L'homme voit sa fièvre monter alors que s'installe en lui, pour la première fois, l'évidence de la futilité de son existence.

Il se parle, il nous parle, entre bonne conscience, mauvaise foi, culpabilité et humanité. Le seul autre personnage sur lequel il peut s’appuyer est une cuvette de toilettes… mais Jérôme Sauvion a du mal à sortir du réalisme de ce texte contemporain, qui a de nombreux échos avec notre société :
"J’aime la chaleur, le douillet, le plaisir, l’amour, les lettres, les cadeaux, ces tableaux là de Matisse… Oui, je suis un esthète. J’aime la beauté. Les gens pauvres sont beaux. C’est un sentiment merveilleux que d’avoir de l’argent dans un pays où la plupart des gens sont pauvres."

Les transitions entre les anecdotes racontées par ce personnage, les réflexions socio-humanistes et les moments où il partage sa fièvre sont peu fluides et manquent de respiration… Les propos de Shawn s’en voient alors réduits à une réflexion pauvre d’occidental sur les relations entre pays du Nord et pays du Sud… Le public décroche alors que le texte est poignant et finalement profondément humain. Il y a tout de même du jeu et de l’intensité mais si Jérôme Sauvion et Nadine Emin-Madrid, la metteuse en scène, avaient pris davantage de recul et apporté plus de légèreté à cette pièce, le public du Théâtre des Marronniers aurait vraiment eu la fièvre…

Du 11 février au 1er mars 2010 au Théâtre des Marronniers de Lyon.

La fièvre est également montée à Paris, au Théâtre des Mathurins, par Lars Norén, avec Simona Maïcanescu en personnage principal introspectif…

mardi 23 février 2010

Brice et sa pute

De l’histoire de ce couple punk, l’on sait juste que, " un jour, Brice a rencontré sa pute" et que "en 2007, ils décident ensemble de monter un groupe".

C’est donc trois ans plus tard que Brice et sa pute invitent des musiciens amis pour fêter la sortie de leur DVD au Marché Gare du quartier Perrache à Lyon : dans l’ordre les Magic Chicken Burn (les mieux déguisés) ; Le Réparateur (le plus punk) ; Les 2 Moizelles de la Chorale Municipale de St Benêt la Chipotte (les plus drôles et peut-être les plus punk) et Monsieur Barthélémy (le plus sérieux et le moins drôle) sont montés sur scène et ont ponctué leur répertoire d’une reprise à leur sauce de Brice et sa pute.

Puis c’est au tour du duo punk lyonnais de préparer leur apparition. Les deux définissent leur musique comme « Minimalist punk à palette » : une cage, une palette et de la tôle… Brice s’enferme et sera seul responsable de la partie instrumentale : une basse comme une guitare et un carré de tôle suffisent quand l’énergie, la drôlerie et la noirceur sont là. Et c’est donc la pute sur des talons haut perchés et des jarretelles qui débordent qui chante, parfois sous la menace de son mac (Supervice), et parfois le menant dans un enthousiasme candide par la cravate (C'est le soleil). Au fur et à mesure que le spectacle avance, Brice nous dévoile les porte-jarretelles que lui aussi porte et que son vulgaire maquillage laissait déjà deviner.




Un bluffant Ave Maria clôt le spectacle. On croit d’abord à une plaisanterie en forme de play-back mais c’est bien la chanteuse qui prie après avoir chanté « Brioche dorée » qui a vu mourir le Vicomte après une nuit d’orgie : « Je viens de me rendre compte/ C’était hier soir/ Avec le vicomte/ On n’a fait que boire /(…) Il en est mort / ça fait partie des déboires ». Il ne reste plus qu’à prier, nous, que le sordide couple sorte du cercle lyonnais et du quartier mal famé (mais qui leur va si bien !) de Perrache, leur nom est la promesse de si belles chansons !

Le DVD : "Brice et sa pute te regarde" (Live et Clips) 8€ ; EP 7 titres, 5 €. En vente après les concerts ou sur demande (vpc.duretdoux@gmail.com). Pour connaître les dates et pour d'autres informations : leur Facebook et leur Myspace.

dimanche 7 février 2010

Benjamin Biolay, Superbe !

Voilà peut-être une heure qu’on écoute les textes et mélodies de Benjamin Biolay sur la scène du Casino de Paris, qu'il s'est progressivement mis en confiance, remerciant beaucoup et sincèrement le public présent, quand il profite d’être au piano pour entamer « Les Séparés » de Marceline Desbordes-Valmore, une poétesse du début du 19ème siècle. Un texte romantique d’une modernité surprenante que Julien Clerc avait superbement mis en musique il y a plus de dix ans. On ne boude pas cette version entièrement reprise par Benjamin Biolay et l’on mesure à quel point la justesse des vers à elle sont proches de l’authenticité de ces textes à lui et de la précision de sa musique.

Tournant essentiellement sur les textes de La Superbe, Benjamin Biolay n’en oublie pas moins de nous donner à entendre ses textes fondateurs pour lui et pour le public : Les Cerfs-Volants bien sûr, « A mesure que le temps passe / Je mesure le temps qui passe », deux vers qui nous rappellent la douce et cruelle mélancolie dont est empreint l’album concept Rose Kennedy aujourd’hui plutôt absente de La Superbe. On y retrouve beaucoup plus l’emportement et l’impatience de cette chanson oh combien représentative du chanteur-musicien, A l’origine, dont il donnera une version longue, puissante et enragée dans un rap qu’il semble finalement le libérer d’un inconfort et se livrer ainsi à son public. Les chansons du double-album La Superbe seraient donc la rencontre de la précision mélancolique de Rose Kennedy et de la puissance revendicatrice de A l'origine, un mélange efficace dont il s'était déjà approché en 2007, avec l'album Trash Yéyé.



Certes, Benjamin Biolay a dû attendre pour sourire à son public et apprécier les salles pleines, les disques de platine mais cinq albums et trente-sept années, c’est payé peu cher pour obtenir déjà cette intensité du verbe et des notes. Un texte de Rainer Maria Rilke « Pour écrire un seul vers (…) » ouvre le spectacle, Benjamin Biolay est-il à même de s’approprier cette confession : « des vers signifient si peu de chose quand on les a écrits jeune ! On devrait attendre et butiner toute une vie durant, si possible une longue vie durant ; et puis enfin, très tard, peut-être saurait-on écrire les dix lignes qui seraient bonnes. » ? Pour écrire un seul vers, il faut tant attendre, tant vivre et tant souffrir mais le chemin qui nous y mène n’en est pas moins exultant.

La Superbe (2009), Naïve - En tournée en France et en Belgique jusqu'en juin 2010, toutes ces dates sur son site officiel.

 
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