lundi 18 avril 2011

Van Dongen : décadentes belles époques

"Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain" : l'exposition du musée d'art moderne de la Ville de Paris expose les œuvres de l'artiste d'origine néerlandaise (1877-1968) de 1895 aux années 1930. Pour entrer dans l'ambiance parisienne en vigueur chez les mondains autour de la Première guerre mondiale, jusqu'au 17 juillet.


C'est une femme mince au teint vert, qui se tient de bout dans le coin d'un tableau intitulé Vasque fleurie. Au sol, un chien se prélassant, sur un meuble un crâne pouvant évoquer une vanité. Le tableau date de 1913 et la femme, représentée dans l'atelier de l'artiste, est Luisa Casati, égérie italienne qui fit connaître à Kees Van Dongen le tout Paris.


La vasque fleurie
vers 1917
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
© Musée d'Art Moderne / Roger-Viollet
© ADAGP, Paris 2011


L'œuvre n'est pas toute l'exposition, tout le style de l'artiste, qui, s'il est appelé fauviste, s'essaya au pointillisme ou au néo-réalisme, mais elle symbolise bien l'ambiance d'une époque et d'une vie : celle de l'avant-guerre où la mort rodait sous les étoffes de Paul Poiret, puis celle des années folles, lorsqu’elle se lovait dans les yeux vides des femmes. Le peintre a beau draper cette sale compagne des couleurs vives des fauves, la camoufler par la vitesse d'un début de siècle, la noyer avec sa deuxième femme Jasmy, directrice commerciale de la maison de couture Jenny, dans les modes parisiennes, les fêtes et les cocktails, le fléau revient au galop : au détour d'un tableau vide quand le personnage est relégué dans un coin de la toile (La Commode), dans ces grandes huiles quasi-surréalistes où dames de nuit et anges jouent des tangos ; elle ressort aussi dans ce vert presque fluo de la peau et dans le trait noir qui l'enserre si chers aux fauves, dans ce portrait de Charles Rappoport, (un des fondateurs du Parti Communiste), en intellectuel fatigué, dans le visage du peintre en bleu ou en Neptune.


Van Dongen, né dans les faubourgs de Rotterdam, voulut le succès en artiste, il l'eut avant que la crise de 1929 ne le touche directement lui et sa vie trop mouvementée, ancrée dans le futurisme de début du siècle qui conjurait le sort par la vitesse des manèges et des lumières (cf. Le Manège des cochons ou Le Carrousel, 1905).

L'exposition n'est pas une monographie -l'accrochage s'arrête au début des années 30 et le bannissement de Van Dongen parce qu'il avait participé à une visite officielle en Allemagne organisée par Joseph Goebbels est très rapidement évoqué au cours de la chronologie- mais raconte plutôt une époque, celle des "parnassiens" dont le parisien d'adoption fut un des leaders, celle de la notoriété des chanteurs nègres et des folies bergères, celle des garçonnes.


Au-delà des changements de style, il y a donc bien chez Van Dongen une unité : dans les premières salles du parcours (chronologique), il y a ces clowns tristes et bariolés (1894 – 1904) qui sont comme cette femme longiligne qui cache son sort sous son costume... Les années ont beau mettre des vasques fleuries, des cochons et des chapeaux de mondains pour détourner l'attention, le regard clairvoyant de l'artiste sur son époque toujours nous attire et nous guide. Une expo à voir.


Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 11 av. du Président Wilson, Paris 16e, Métro Pont de l'Alma, Plein tarif : 10 euros, TR / 7,50 euros, demi-tarif : 5 euros. Du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu'à 22h. Réservations possibles sur internet.


dimanche 3 avril 2011

Le conte d'hiver de Shakespeare : préférer le doute

Lilo Baur met en scène, au Théâtre des Abbesses, Le conte d'hiver (The Winter's Tale) de William Shakespeare, une pièce qui date de 1610 et qui est généralement classée parmi les tragicomédies. On ne sait pas, en effet, s'il faut rire ou pleurer.

Du soupçon à la certitude : la folie d’un roi
C’est comme un coup de foudre : soudain. Le roi de Sicile, Léonte, est heureux en son royaume, Polixène, ami d’enfance et roi de Bohème, est venu le visiter. Mais quand ce dernier, sur le point de quitter l’île, cède aux prières de la reine plutôt qu’aux raisons du roi pour séjourner davantage, amour et amitié cèdent à la jalousie et la haine. Léonte est maintenant persuadé que sa femme a une relation adultère avec son ami et qu’elle en porte l’enfant. Fière et blessée, la reine Hermione préfère mourir après avoir donné naissance à une fille, Perdita, qui sera abandonnée. Polixène, lui, réussit à s’enfuir jusqu’à sa Bohème.

Un simple soupçon, que pas même l’oracle de Delphes d’habitude sibyllin, ne sera en en mesure de conforter, détruira un bonheur pourtant tangible : un ami de toujours, une famille aimable, des serviteurs dévoués. Faut-il que l’homme soit certain du caractère éphémère du bonheur pour précipiter ainsi sa fin ? Alors, l’homme préfère-t-il la certitude au bonheur ? C’est ce que semble dire la pièce de Shakespeare. L’homme, dans sa folie, oublie qu’il est la proie de sa condition et que le pouvoir ne le rend que plus esclave de celle-ci. Ces trois premiers actes de la pièce tendent déjà, dans la mise en scène de Lilo Baur, au caractère plus léger du quatrième, dit pastoral. Oui, peut-être faut-il finir par rire de cet éternel recommencement de la folie humaine ? De cette croyance dure comme fer en un pouvoir infini.

La certitude du pouvoir
L’avant-dernier acte nous amène donc en Bohème, seize ans plus tard. Dans la campagne, où les simples gens savent goûter les bonheurs d’un enfant amoureux, d’un repas champêtre et d’un chant folklorique. Il s’agit du mariage de deux jeunes gens : le fils du roi de Sicile croit prendre pour femme une paysanne et se cache de son père, il ignore en fait qu’il s’agit de Perdita qui avait été recueillie et élevée dans la simplicité.

L’allégresse envahit les planches : peut-être, là, la mise en scène de Lilo Baur se fait traînante et perd le spectateur et la densité du conte. Mais il n’est pas non plus désagréable, un instant, de souffler dans l’implacabilité des sentiments humains : la légèreté, à un endroit, serait possible. Cette légèreté est pourtant bien vite chassée quand le roi de Bohème arrive et voit son fils se marier faisant fi de l’avis paternel. Polixène interdit aux jeunes gens de se revoir et les poussent à l’exil. Le malheur serait-il là où il y a du pouvoir, royal ou paternel ? Parce que là où il y a le pouvoir, il y a la certitude d’avoir raison. Pareillement, seize ans plus tôt, on n’avait pu raisonner le roi.

C’est là la vertu du conte que de dire des choses universelles, celles-là même qui se répètent qui de toute éternité sans que jamais l’homme n’ait trouvé d’issue définitive. Ici, Shakespeare nous soulage en dénouant heureusement son drame. Le bonheur des enfants, de sang royal tout deux et amoureux, vient consoler la folie des pères. Cela suffit-il ?

« Le conte d’hiver » de William Shakespeare. Mise en scène de Lilo Baur.
Du 29 mars au 10 avril, Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses – Paris 18ème.
 
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